Critique du film The Creator

Depuis sa création, le cinéma a été l’arme de propagande privilégiée du pouvoir. C’est là que l’on formate les imaginaires. Un exemple en France, ce n’est pas par hasard si Bernard-Henri Lévy avait été nommée président de la Commission des avances sur recettes du Centre national du cinéma. De ce dernier dépend la ligne de la production cinématographique nationale. Comme l’observe Jean-Claude Michéa : « le Festival de Cannes n’est pas la négation majestueuse du Forum de Davos. Il en est, au contraire, la vérité philosophique accomplie.1 » Autre exemple, cette fois-ci à Hollywood : en 2011, le blockbuster Contagion de Steven Soderbergh, avec une floppée de stars (Matt Damon, Kate Winslet, Marion Cotillard, Laurence Fishburne, Gwyneth Paltrow …) décrivait par le menu ce que nous allions vivre une décennie plus tard pendant l’épisode du Covid. Même le rôle des « antivax » (ici interprété par Jude Law dans le rôle du méchant) mettant en danger la population en propageant des fake news y était anticipé. Le cinéma sert ici à préparer les têtes à accepter l’innacceptable. C’est pour cela que, même si une large part du lectorat de La Décroissance n’est pas une grande consommatrice du cinéma de masse, il est important d’observer ce qui s’y passe. L’occasion nous en donnée avec la sortie à la télévision du blockbuster The Creator du réalisateur Gareth Edwards. Cette production de Disney est sortie au cinéma en 2023. La presse avait d’ailleurs adoré. Un seul exemple avec Libération : « C’est un film qui réjouit balade loin de l’Occident surprend par son impertinence politique 2 »… Son pitch (bref résumé du scénario) est particulièrement évocateur. Le héros, joué par l’afro-étatsunien John David Washington, est un agent américain chargé de détruire un centre d’Intelligence artificielle. Comme dans le film culte Terminator de James Cameron, l’IA y est accusée déclenchée le tir des bombes nucléaires (ce qui d’ailleurs nous pendrait au nez d’après des spécialistes). Sauf que… Sauf que les temps ont changés : « L’attaque nucléaire sur Los Angeles était une erreur de codage. Une erreur humaine ! Ils nous ont accusés pour ne pas avoir à admettre ce qu’ils avaient fait. On ne s’en serait jamais pris aux humains. Tu sais ce qui arrivera à l’Occident quand on remportera cette guerre ? Rien du tout. Tout ce qu’on veut c’est vivre en paix. » C’est que révèle au héros le chef de la résistance, un cyborg. Le gentil de The Creator comprend alors qu’il est dans le camp des méchants (que des états-uniens blancs).
Accusée à tort, l’IA a donc dû partir se réfugier en Asie. Elle y a créé des cyborgs, êtres mi-asiatiques, mi-machines. Ils mènent une résistance à l’armée U.S aux côtés des paysans cultivant du riz. Ces habitants des rizières sont d’ailleurs eux-mêmes cyborgs pour moitié. La morale du film est énoncée par une enfant électronique : « Les humains et les cyborgs doivent vivre en paix ensemble. » L’humain doit donc se réconcilier avec l’IA. Les cyborgs sont des humains comme les autres et inversement. Les machines ont des sentiments et sont capables d’aimer. Elles veulent simplement vivre libres. Elles pleurent, elles prient même ! Preuves que l’âme est une app (application à télécharger sur Apple store). Ne leur manque que l’humour, car, empreint de mysticisme, ce film se prend très sérieux. Depuis Terminator et Robocop, le cinéma a aussi laissé en route cette spécificité humaine. Les personnages ne plaisantent plus comme Schwarzy interprétant le méchant robot : « Hasta la vista, baby ». Ce qui n’est en rien anecdotique. Car ici on se prend au sérieux. Chassez le religieux des églises et il revient par le cinéma.
On retrouve ici grosso modo la même trame que la série de film Avatar, c’est-à-dire une apologie des peuples premiers couplée à celle la technologie la plus débridée. Le grand récit porté par la série de films de James Cameron n’avait pas touché que les « masses », il avait enthousiasmé le monde de l’écologie universitaire. Ainsi, deux universitaires français, Damien Deville et Pierre Spielewoy s’enthousiasmaient : « Le film Avatar a marqué son époque, il a également marqué notre adolescence. […] Confrontés à leur propre vulnérabilité, les Na’vi vont sublimer les relations qui les unissent à la terre…3 ». Plus grand public, Nicolas Hulot et le philosophe médiatique Frédéric Lenoir dissertaient dans un ouvrage commun : « Ce qu’évoque très bien le film de James Cameron, Avatar, qui montre que, contrairement à la Terre où l’emportent les valeurs masculines de domination, de prédation et de compétition, Pandora est la parabole d’un monde où les valeurs féminines, comme l’harmonie avec l’environnement, la collaboration et la protection des plus faibles, sont mises en valeur4. » (On sait depuis ce qu’il en était des « valeurs féminines » du vendeur de shampoings Ushuaïa®).
Que ce soit dans Avatar ou The Creator, on retrouve le même discours idéologico-religieux : l’archaïque naturel et le technologique le plus débridé doivent fusionner, chassant l’homme moderne responsable de tous les maux. Humains, cyborg, animaux, chauves, « on est tous liés les uns aux autres » explique lors d’un prêche larmoyant et pénible le héros. Fondons-nous dans le Grand-Tout. On passe sur multiples contradictions : la première, comment des paysans vietnamiens traditionnels peuvent-ils financer et développer un univers de cyborgs ? Le plus paradoxal étant que ce blockbuster chargé de nous vendre l’IA est présenté comme « anti-impérialiste », « écolo », « inclusif », « décolonial », « antivalidiste (il manque un bras et une jambe au héros) » et surprenant « par son impertinence politique » comme dirait le journaliste de Libération. Nous voilàde fait en pleine révolte consommée. Voilà comment on prépare les têtes à accepter l’IA ou les implants au silicium d’Elon Musk greffés dans le cerveau.

Raoul Anvélaut

1 - La Double pensée. Retour sur la question libérale, Flammarion, 2008.
2 - 26 septembre 2023.
3 - Tana, 2020.
4 - Fayard, 2020.